« Abraham », entre la terre et le ciel

« On m’appelle Abraham », c’est par ces mots que se présente le curé de haute taille et fort en couleur qui reçoit dans son jardin Pierre de Bénouville, alors que ce dernier, haut responsable des Mouvements Unis de la Résistance (MUR), vient de traverser le Foron en cette soirée d’automne 1941. Abraham, curieux pseudonyme que s’est donné ce curé de campagne, agent du Service de renseignement de l’armée suisse (SR).

Comment Gaston Desclouds, ce gamin des Pâquis où sa mère était concierge, est-il devenu agent de liaison frontalier et contact d’agents secrets ? Ordonné prêtre à 29 ans, il officie dans une paroisse urbaine avant d’être nommé curé à Thônex. Il « se sauve de la solitude de son ministère par la contrebande ». La situation du jardin de la cure et du cimetière, accotés à la frontière lui facilite l’importation clandestine de beurre, de pipes de Saint-Claude et de graines de petits oignons qui intéressent la chimie bâloise. Il exporte aussi du tabac vers la France. Sa chienne Minka est dressée à débusquer les douaniers. Avec les bénéfices dégagés ce colosse truculent et généreux aide les nécessiteux, les malades de la clinique psychiatrique de Bel-Air et offre uniformes et camps de vacances aux éclaireurs de la troupe qu’il a créée.

Sa connaissance de la région et des gués du Foron incite le Service de renseignement suisse à le recruter. Agent de liaison bénévole, il collabore avec un poste récepteur du SR, passe des instructions aux résistants français et aux agents alliés, et rejoint les réseaux Gilbert du colonel Groussard. Selon un témoignage, il confectionne de faux papiers pour des résistants et de faux certificats de baptême pour des Juifs pourchassés, dissimulant tampons encreurs, cachets et matériel nécessaires dans la doublure de sa redingote noire.

Louis Valencien, maire de Thônex, le nomme Responsable du Groupe autonome de défense pour la commune. Les obligations de défense passive sont une lourde charge pour les petites communes rurales, aussi, la mairie de Thônex demande à la troupe d’éclaireurs l’aide de quelques-uns de ses membres. L’un d’entre eux, Gilbert Ceffa, futur chroniqueur des années brunes à la frontière genevoise, deviendra un collaborateur actif du curé Desclouds.

C’est principalement par le cimetière de Thônex en bordure du Foron que le SR exfiltrerait ses agents.

Texte: Claire Luchetta